Ma patrie, c’est la langue française » disait notre grand et sensible auteur Albert Camus.
Je comprends tout à fait ce qu’a voulu dire Albert Camus! Ma patrie, ce n’est pas tant le pays que physiquement j’habite. Ma patrie, c’est d’abord mon monde intérieur, et la langue par laquelle je peux le révéler. Ma langue, en ce sens, c’est mon être, mon identité toute entière. C’est bien avec les mots que nous avons grandi. Les mots que nos parents, nos grands parents, mais encore nos professeurs nous ont adressés. Les mots entendus des êtres chers ou des guides nous ont aidé à forger notre identité, et notre sensibilité.
La puissance des mots est d’ailleurs telle qu’ils peuvent ou aider à bâtir ou aider à détruire.
Si des mots ont pu détruire un peu ou beaucoup l’enfant que nous étions, il existe encore fort heureusement les mots pour se reconstruire. La langue française est mon identité, mais aussi mon pays. Elle reflète toutes les influences langagières que j’ai reçues.
Elle reflète également toutes les intonations et tous les accents que j’ai pu entendre. Une langue, en effet, se parle avant tout. Une langue s’anime et révèle la sensibilité du locuteur, ou ses humeurs du moment. Les mots en ce sens se font chair. Et la langue fait partie intégrante de moi, de mon histoire, de ma sensibilité, de mon identité.
Les mots sont ma patrie car j’ai sans arrêt besoin d’eux pour penser, réfléchir, voir, ressentir. Car, si je peux mettre des mots sur ce que j’éprouve, quelle Liberté je peux ressentir ! Cette liberté d’être, d’exister…Les mots, la langue sont libérateurs. Ils me révèlent.
Aussi, les mots, la langue me réveillent, car ils permettent cette indispensable prise de conscience pour toujours évoluer. C’est en effet par les mots de ma langue que je m’accueille, que j’accueille le monde, les autres, et tout ce qui est autour de moi. Nommer est indispensable pour avoir la distanciation et aussi pour me protéger. Les mots, ma langue, en ce sens, constituent mon armure. Ils permettent de mettre sans arrêt du sens. En ce sens, ils sont ma véritable patrie, mon chez moi.
J’ai la possibilité sinon de toujours choisir mes mots. Je fonde mon univers et sa texture à partir des mots que j’emploie. Dans la langue française, nous avons cette chance extraordinaire de disposer de tout un éventail de mots presque illimité. Ce qui facilite en somme le « pays » où nous voulons habiter, et que nous désirons peupler.
Pour donner un exemple, nous vivons dans un monde aujourd’hui où les mots qui ont trait à la guerre et à la violence sont devenus malheureusement bien trop monnaie courante. Tous ces mots que nous entendons régulièrement aux informations teintent notre humeur et notre journée de noirceur et de pessimisme. Moi, mon « pays », avec les mots du français, je le choisis de préférence lumineux, coloré, encourageant, joyeux, aimant. Je décide donc de m’éloigner de ce monde violent que d’autres forgent pour moi. Je n’en veux pas ! J’ai envie d’entendre parler de beauté, de bonté, de la vie, des oiseaux, du vivant!
Le vocabulaire français est riche et sonore, et il peut donner à voir ce qui rend vraiment meilleur et heureux. Les mots laids attirent les mots laids. Les mots violents attirent d’autres mots violents. Et c’est le cercle vicieux qui s’instaure. C’est le cercle infernal. Et le pays que l’on habite, le pays de notre langue devient triste, laid, irrespirable. Et après, ce sont les mots de la plainte qui viennent peupler le pays, la patrie, notre patrie. Et nous demeurons dans la non vie, le malheur, la dépression.
La langue française, oui, est ma patrie mais surtout lorsque je chéris ses mots merveille, ses mots culture, ses mots littérature, ses mots musique, ses mots art, ses mots architecture, ses mots nature, ses mots animaux, ses mots fleurs, ses mots amour, ses mots enchanteurs.
Alors, oui, Albert Camus, je vous suis reconnaissante pour votre si jolie formule, et j’acquiesce avec vous pour dire : oh oui, ma patrie, c’est la langue française !
